LES TEIGNES

Définition

Les teignes sont des folliculites fongiques contagieuses et infectieuses, dues au pouvoir pathogène et à la multiplication de champignons kératinolytiques appelés dermatophytes; elles sont également appelées dermatophyties.
En médecine humaine, les teignes désignent des dermatophyties du cuir chevelu, celles des zones de peau glabre étant appelées herpès circiné.
Les teignes sont importantes pour plusieurs raisons:
D'abord parce qu'elles sont fréquentes, surtout chez le chat (jusqu'à 50% des individus examinés, quel que soit le motif de consultation, sont porteurs sains de spores, susceptibles de contaminer le milieu extérieur, leurs congénères... et leurs propriétaires !);
Ensuite parce qu'elles constituent un défi en collectivité où elles prennent un caractère persistant;
Enfin parce qu'elles sont zoonosiques, l'homme pouvant être le révélateur d'un portage sain chez l'animal de compagnie (photos).

Les parasites

Deux genres de dermatophytes (champignons ascomycètes, à filaments septés, et à reproduction sexuée connue aboutissant à la formation d'ascospores) regroupant une dizaine d'espèces sont impliqués:

Le genre Microsporum (photos): M. canis, M. gypseum, M. persicolor , la première étant de loin la plus fréquemment impliquée chez le chien et chez le chat (de l'ordre de plus de 60-70% des cas cliniques confirmés selon diverses enquêtes) et facilement transmise à l'espèce humaine (photos); Le genre Microsporum est en général responsable de teignes sèches tondantes, parfois suppurées ;
Le genre Trichophyton : T. mentagrophytes, T. erinacei, T.equinum, T. ochraceum ( = verrucosum )... responsables de teignes épilantes, ou suppurées appelées kérions.

La diagnose générique, et parfois spécifique, est essentielle afin de déceler l'origine de la contamination et le caractère zoonosique plus ou moins marqué, et elle se fonde sur l'observation des caractères morphologiques : toutefois, l'aspect du champignon est différent selon que l'on observe celui-ci en milieu de laboratoire ou dans le milieu extérieur (morphologie riche et variée) ou chez l'animal (réduite et pauvre).

Au laboratoire, sur un milieu d'épreuve de Sabouraud ou sur un milieu pauvre, on peut observer :
Le développement, en une à deux semaines (parfois plus surtout pour le genre Trichophyton) des colonies d'aspect poudreux, plâtreux, neigeux, ... et bicolores (couleur claire sur le recto, plus foncée sur le verso : beige / brun, blanc crèmeux / orange, ...) ;
Ces colonies sont constituées de filaments végétatifs à extrémité élargie ("en raquette"), des filaments sporifères donnant diverses spores ( des chlamydospores ou spores à paroi épaisse, des microaleuries ou aleuriospores insérées latéralement sur le filament, des macrolaeuries ou fuseaux à paroi épaisse, à cloisons transversales délimitant des logettes, de plusieurs dizaines de µm de longueur ;
Enfin, il est possible d'observer des filaments ornementaux ou fulcres, vestiges des gymnothèces, organes de la reproduction sexuée.

A partir de ces divers éléments morphologiques, il est possible d'effectuer une diagnose générique (cf. tableau 1 cliquez ici :Morphologie observable en milieu de culture).

Morphologie

Chez l'animal, la morphologie est beaucoup plus réduite, se limitant à des filaments septés et des ascospores, et en l'absence d'organes de reproduction sexuée; leur disposition par rapport au poil et leur dimension permettent de reconnaître diverses situations:
Un type endoectothrix: éléments parasites observés sur et en dehors du poil : cas du genre Trichophyton;
Un type microsporique, variété du premier, caractérisé par la disposition en mosaïque des spores, serrées les unes contre les autres et constituant un manchon enserrant le poil : genre Microsporum (photos) .

Biologie

Ces champignons se caractérisent sur le plan biologique par :
Leur kératinophilie et leur pouvoir kératinolytique, d'où leur persistance dans le milieu extérieur aux détriment de tout support kératinisé (poil, cheveu, corne, ongle, griffe,...) et leur localisation chez l'animal (follicule pileux jusqu'à la limite extrême de la kératine, squames, épiderme);
Une faible spécificité, telle espèce manifestant seulement une préférence trophique pour l'homme (espèce anthropophile), un animal ou un groupe d'espèces animales (espèce zoophile) ou pour le milieu extérieur (espèce géophile);
Leur capacité à se reproduire de façon sexuée uniquement dans le milieu extérieur, leur assurant ainsi une certaine pérennité dans un local (chenil, chatterie) où vivent (ou ont vécu) des animaux parasités (malades ou porteurs sains) ; cette résistance et cette reproduction expliquent la fréquence des rechutes et l'endémicité des teignes en collectivités (surtout félines).

Epidémiologie

Les teignes sont contagieuses, observées fréquemment chez des animaux vivant en groupe, en collectivités, issus d'un élevage, fragilisés, parasités par d'autres espèces responsables de lésions cutanées favorables au développement du champignon (pulicose par ex), chez le chat à poil long.
Tout animal, quels que soient son âge, son sexe et son mode de vie, est susceptible d'exprimer une dermatophytie; il peut exister un état d'immunité vraie au terme d'une infection.

Etude clinique

Plusieurs formes cliniques peuvent être décrites:

Une forme inapparente: l'animal ne présente aucune lésion cutanée, tout en étant source de contamination pour son entourage (autres animaux de même espèce ou non et ses propriétaires); ceci est particulièrement fréquent chez le chat (jusqu'à 50% des animaux vus en consultation), moins chez le chien (de 5 à 10%) ; l'animal n'héberge que des spores qui ne filamentent pas du fait de l'absence de conditions favorables ; de tels cas sont difficiles à diagnostiquer et ne sont suspectés que dans le contexte de contaminations animales et/ou humaines (photo).

Une forme "classique" et fréquente: teigne sèche tondante (photos):
Les lésions siègent potentiellement en tout endroit du corps, mais le plus fréquemment sur la face (chanfrein)(photos), les bords libres et la face externe des pavillons auriculaires, les extrémités des membres.
Elles consistent en des aires circulaires (de quelques mm à cm de diamètre), alopéciques, non ou peu enflammées(photos), non erythémateuses, recouvertes de fines squames, les poils en périphérie s'arrachant facilement ; classiquement, ces lésions ne sont pas prurigineuses et l'état général de l'animal reste bon.
Ces lésions évoluent spontanément vers la guérison centrale, l'extension périphérique ou la confluence avec d'autres lésions limitrophes ; le poil repousse en quelques semaines alors que d'autres lésions identiques apparaissent à proximité.

Une forme plus rare : teigne suppurée ou kérion (photos)., lésion très inflammatoire, associée à des manifestations de prurit, à l'existence d'une pseudosuppuration ("pus" jaunâtre, épais qui sourd des ostioles folliculaires), simulant ainsi une folliculite bactérienne banale.

Diagnostic

Le diagnostic clinique est relativement facile mais doit toujours être confirmé; en effet, la teigne doit être distinguée des autres causes d'alopécie (en particulier les démodécies) et/ou de suppuration (pyodermites superficielles);

Pour cela, on peut faire appel à :

Un examen en lumière de Wood, dont le principe consiste, en cas de positivité, à observer, en chambre noire, une fluorescence jaune-verdâtre due la présence d'un pigment particulier synthétisé par les filaments , la ptéridine. Toutefois, cet examen n'est pas toujours fiable : seuls les animaux porteurs de lésions dues à certaines souches de M. canis présentent une fluorescence (les animaux atteints de teignes trichophytiques ou dues à d'autres espèces que M. canis ainsi que les animaux porteurs sains ne le sont jamais);
Un examen direct des poils (ou squames) prélevés en périphérie des lésions les plus récentes et non traitées; l'observation, d'abord à un faible objectif, permet, en cas de positivité, de conclure rapidement à un diagnostic de certitude, à la faveur de la consultation
Une mise en culture sur des "kits" (photos) commercialisés renfermant un indicateur de pH (rouge de phénol orange et devenant rouge lors d'alcalinisation du milieu) : cette technique est facile d'exécution, permet une diagnose précise par l'observation des filaments et des spores (morphologie plus riche), y compris à partir de prélèvements effectués chez des animaux porteurs sains; en revanche, elle est relativement longue (de l'ordre de plusieurs semaines, en particulier pour le genre Trichophyton ), peut favoriser le développement d'espèces contaminantes non pathogènes, et nécessite obligatoirement une vérification microscopique de la culture suspecte (observation des filaments, des spores et des macroconidies) ;
La biopsie cutanée n'est pas l'examen de choix, mais elle peut être utile surtout lors de teignes atypiques.

Méthodes de lutte

Le traitement des dermatophyties repose désormais sur des bases thérapeutiques confirmées et un protocole reconnu :
La tonte de l'animal, en particulier du chat à poils longs, a été pendant longtemps considérée comme indispensable, à la fois pour supprimer les poils parasités porteurs d'éléments de contamination (spores) et pour augmenter l'efficacité des topiques antifongiques utilisés; toutefois, la tonte doit être effectuée avec beaucoup d'attention dans la mesure où des traumatismes cutanés provoqués par les ciseaux ou les peignes de tondeuse constituent des conditions très favorables à l'installation et à la multiplication des champignons;
Le traitement topique est indispensable, suffisant pour les animaux porteurs sains et les congénères en contact avec un animal parasité. Il fait appel à:
Des médicaments iodés (alcool iodé à 2%, Bétadine)
La chlorhexidine à 3%
Des dérivés imidazolés comme l'énilconazole: solution diluée à raison de 20 ml de solution - mère dans un litre d'eau, à préparer de façon extemporanée, à appliquer largement, sans rinçage, 4 fois à 4-5 jours d'intervalle ; cette présentation n'a une AMM que chez le chien, son utilisation chez le chat est toutefois parfaitement tolérée;
Le traitement général est le plus souvent indispensable car les lésions sont multiples, disséminées. on a recours à:
La griséofulvine, molécule fongistatique, à administrer par la voie orale à la dose de 40-50 mg/kg/j durant 4 semaines au minimum. Ce médicament a toutefois des inconvénients: vomissements, effet tératogène, risques d'aplasie médullaire chez les chats FIV+.
Le kétoconazole, à raison de 10 mg/kg/j au minimum, durant 4 semaines. Des traitements prolongés et/ou à doses élevées peuvent induire une insuffisance hépatique. Le dosage des transaminases doit donc être régulièrement chez des sujets âgés ou souffrant de pathologie hépatique.

Prophylaxie :

La prophylaxie des teignes est particulièrement difficile du fait de la faible spécificité des espèces parasites et de leur grande capacité à résister et à se multiplier dans le milieu extérieur, ce qui explique en partie la fréquence et les rechutes de teignes chez les animaux élevés en groupe, en collectivité.
Il est indispensable de recourir à une hygiène rigoureuse (récolte et destruction des poils et de tout support kératinisé), à une inspection minutieuse de tout animal introduit dans un élevage, à une mise en culture de divers prélèvements et à l'utilisation de fumigation d'énilconazole (habituellement utilisée contre l'aspergillose aviaire).