Étiologie et Prise en Charge des Pododermatites Canines

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La pododermatite canine ne constitue pas une entité nosologique unique, mais représente plutôt un patron réactionnel cutané complexe et multifactoriel, résultant d’une interaction dynamique entre des causes primaires, des facteurs prédisposants et des éléments perpétuants. Ce rapport de synthèse a pour objectif de fournir une analyse exhaustive, nuancée et actualisée de l’étiologie, de la physiopathologie et des stratégies thérapeutiques des pododermatites canines.

Cette revue intègre les données scientifiques les plus récentes, notamment les directives 2025 de l’ISCAID (International Society for Companion Animal Infectious Diseases) sur l’usage rationnel des antimicrobiens, les consensus du WAVD (World Association for Veterinary Dermatology) sur la démodécie et la dermatite à Malassezia, ainsi que les avancées technologiques en biomodulation par fluorescence. L’analyse s’appuie également sur les nouvelles tendances de résistance bactérienne observées en Europe et en Asie, soulignant l’urgence d’une approche diagnostique rigoureuse et d’une gestion thérapeutique économe en antibiotiques.

Dans la pratique clinique quotidienne, la pododermatite canine demeure l’un des motifs de consultation les plus fréquents, mais aussi l’un des plus frustrants tant pour le vétérinaire que pour le propriétaire. La présentation clinique, bien que souvent stéréotypée — caractérisée par un érythème interdigité, une alopécie, un œdème, et une exsudation séro-purulente — masque une diversité étiologique considérable. Celle-ci s’étend de l’hypersensibilité environnementale banale aux désordres auto-immuns complexes, en passant par des maladies métaboliques systémiques graves telles que le syndrome hépatocutané.

Pour le dermatologue vétérinaire, l’enjeu ne réside pas seulement dans la gestion symptomatique de l’inflammation ou du prurit podal, mais dans l’élucidation précise de la cascade pathogénique sous-jacente. Une prise en charge inadéquate, souvent limitée à une antibiothérapie empirique répétée sans investigation étiologique, conduit inévitablement à la chronicité. Cette dernière se caractérise par une fibrose dermique irréversible, la formation de kystes folliculaires, l’apparition de modifications conformationnelles du pied et l’émergence de souches bactériennes multirésistantes, notamment le Staphylococcus pseudintermedius résistant à la méticilline (SPRM) et des bacilles Gram négatifs comme Pseudomonas aeruginosa ou Escherichia coli.

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I. Physiopathologie et Anatomie Fonctionnelle : Le Terrain de la Maladie

1.1 La Barrière Cutanée Interdigitée et le Microclimat Podal

La compréhension de la pathogénie débute par l’analyse de l’anatomie fonctionnelle. La peau des espaces interdigités présente des particularités qui la prédisposent intrinsèquement à l’inflammation et à l’infection. Contrairement à la peau glabre, l’épiderme interdigité est exceptionnellement riche en glandes sébacées et apocrines. Cette densité glandulaire, associée à la configuration anatomique “fermée” de l’espace interdigité, crée un microclimat chaud, humide et lipidique, particulièrement favorable à la prolifération microbienne.

Ce milieu constitue une niche écologique idéale pour les populations commensales, notamment les staphylocoques à coagulase positive et la levure lipidodépendante Malassezia pachydermatis. De plus, la barrière cutanée à ce niveau est soumise à des contraintes mécaniques constantes et intenses dues à la locomotion et au poids de l’animal. Toute altération de cette barrière, qu’elle soit d’origine allergique, parasitaire ou traumatique, permet la pénétration d’allergènes et de pathogènes, déclenchant une réponse immunitaire locale souvent disproportionnée.

1.2 Le Concept de Kyste Folliculaire et de Furonculose : Mécanisme de la Chronicité

Un mécanisme physiopathologique central dans l’établissement de la chronicité des pododermatites est la rupture du follicule pileux, menant à la furonculose. Ce phénomène est souvent mal compris et qualifié à tort de “kyste sébacé”. Sous l’effet de l’inflammation initiale (due à une allergie ou une démodécie) ou de traumatismes frictionnels (mauvais aplombs, surpoids), l’ostium folliculaire s’obstrue par hyperkératose. Cette obstruction conduit à une dilatation kystique du follicule.

La rupture de la paroi folliculaire fragilisée libère alors le contenu du follicule dans le derme environnant : de la kératine libre, des tiges pilaires et des bactéries. La kératine, une fois hors du follicule, est reconnue comme un corps étranger endogène par le système immunitaire. Elle déclenche une réaction inflammatoire pyogranulomateuse sévère, initialement stérile, qui évolue rapidement vers une infection bactérienne profonde. Les fragments de poils agissent comme des épines irritatives persistantes, entretenant l’inflammation même après la stérilisation bactérienne apparente. C’est ce processus de réaction à corps étranger qui explique pourquoi les antibiotiques seuls échouent systématiquement à résoudre les lésions nodulaires chroniques et pourquoi la chirurgie ou le laser sont parfois requis.

II. Démarche Diagnostique Algorithmique et Raisonnée

Face à une pododermatite, l’approche clinique doit être rigoureuse, séquentielle et exhaustive pour éviter les erreurs diagnostiques et la prescription inutile de traitements symptomatiques qui masquent la cause primaire.

2.1 Anamnèse et Commémoratifs : Les Indices Initiaux

L’enquête clinique débute par une anamnèse détaillée. L’âge d’apparition des signes est un indicateur discriminant majeur. Une pododermatite survenant chez un jeune chien (moins d’un an) doit immédiatement orienter le clinicien vers une démodécie juvénile ou une dermatite atopique précoce. À l’inverse, l’apparition de lésions podales chez un chien âgé, sans antécédents dermatologiques, impose d’envisager des causes métaboliques graves comme le syndrome hépatocutané, des néoplasies (carcinome épidermoïde, lymphome cutané) ou des maladies auto-immunes (pemphigus foliacé).

La saisonnalité des signes est un autre élément clé : une exacerbation au printemps ou en été suggère une atopie environnementale (pollens), tandis qu’une pododermatite non saisonnière peut indiquer une allergie alimentaire ou une cause non allergique. La notion de contagion à d’autres animaux du foyer ou aux propriétaires (prurit chez l’humain) oriente vers une origine parasitaire zoonotique, telle que la gale sarcoptique, ou fongique, comme la dermatophytose.

2.2 Examen Clinique Dermatologique

L’examen physique ne doit pas se limiter aux seules extrémités. La distribution des lésions sur le corps fournit des indices précieux sur l’étiologie :

  • Pododermatite isolée (unipodale) : Cette présentation suggère une cause locale telle qu’un corps étranger (épillet), un traumatisme, une néoplasie, ou une infection fongique opportuniste localisée.
  • Pododermatite généralisée (quadripodale) : L’atteinte simultanée des quatre pattes est fortement évocatrice de causes systémiques : allergies (alimentaires ou environnementales), maladies auto-immunes (pemphigus), causes métaboliques, ou leishmaniose.
  • Localisation précise sur le pied : Une atteinte des coussinets (hyperkératose, ulcères, dépigmentation) oriente vers le pemphigus, le syndrome hépatocutané ou la leishmaniose, alors qu’une atteinte strictement interdigitée dorsale est plus classique de l’atopie ou de la démodécie.

2.3 Examens Complémentaires Immédiats

Le raclage cutané profond et le trichogramme sont des impératifs non négociables. Ils doivent être réalisés systématiquement pour exclure la démodécie, même chez le chien adulte recevant une prophylaxie antiparasitaire apparente (isoxazolines), car des échecs thérapeutiques, des problèmes d’observance ou des déficits immunitaires sévères peuvent survenir. Dans les formes chroniques avec fibrose, les acariens peuvent être difficiles à mettre en évidence par raclage ; la biopsie cutanée devient alors nécessaire.

2.4 Cytologie Cutanée : La Pierre Angulaire du Diagnostic Infectieux

La cytologie, réalisée par impression directe, par écouvillon ou par aspiration à l’aiguille fine pour les nodules, est l’examen le plus rentable et le plus informatif. Elle permet de quantifier objectivement la présence de :

  • Bactéries : La distinction entre cocci (généralement Staphylococcus) et bâtonnets est cruciale. La présence de bâtonnets doit immédiatement alerter le clinicien sur une possible infection à Gram négatif, potentiellement Pseudomonas, justifiant une culture bactérienne immédiate.
  • Levures : La détection de Malassezia pachydermatis (levures en forme de “bouteille” ou de “cacahuète”) est fréquente dans les pododermatites allergiques.
  • Cellules inflammatoires : La caractérisation de l’infiltrat (neutrophiles dégénérés, éosinophiles, macrophages, cellules acantholytiques) oriente le diagnostic. La présence de cellules acantholytiques en nappe suggère fortement un pemphigus foliacé.

III. Étiologie : Classification Détaillée des Causes Primaires

Il est fondamental de distinguer les causes primaires, qui initient le processus, des causes secondaires (infections) et perpétuantes (modifications anatomiques). Le traitement des causes secondaires sans gestion de la cause primaire conduit inévitablement à la récidive.

3.1 Dermatoses Allergiques : La Cause Prédominante

Les allergies constituent, de loin, la cause primaire la plus fréquente de pododermatite canine chronique.

  • Dermatite Atopique Canine (DAC) : Le prurit podal est un signe cardinal de la DAC, souvent le premier à apparaître. L’érythème interdigité, initialement ventral puis dorsal, et le léchage compulsif entraînent une coloration brunâtre caractéristique des poils par les porphyrines salivaires (chromonychie salivaire). Les directives de l’ICADA soulignent l’importance de la gestion multimodale, ciblant à la fois la dysfonction de la barrière cutanée et la dérégulation immunitaire.
  • Allergie Alimentaire (Réaction Indésirable aux Aliments) : Cliniquement indiscernable de la DAC, elle peut se manifester par une pododermatite isolée ou associée à des troubles digestifs (selles molles, borborygmes) et une otite. Le régime d’éviction reste le “gold standard” diagnostique.
  • Dermatite de Contact : Souvent sous-diagnostiquée, elle affecte principalement les zones glabres en contact direct avec le sol (surface palmaire/plantaire des doigts, espaces interdigités ventraux) tout en épargnant les espaces dorsaux poilus. Les allergènes fréquents incluent les produits d’entretien des sols, les engrais, les ciments ou certaines plantes (Herbe de la Pampa, Tradescantia).

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Pododermatite d’origine atopique

3.2 Maladies Parasitaires

  • Démodécie à Demodex canis : La forme podale, ou pododémodécie, peut être une séquelle chronique d’une forme généralisée juvénile non résolue ou apparaître de novo à l’âge adulte. Chez l’adulte, elle est souvent associée à une immunosuppression sous-jacente (hypothyroïdie, syndrome de Cushing, chimiothérapie, corticothérapie au long cours). Les lésions sont typiquement squameuses, alopéciques, comédoneuses et hyperpigmentées (“pieds bleus”), évoluant fréquemment vers une pyodermite profonde grave avec furonculose et œdème marqué.
  • Démodécie à Demodex injai : Ce parasite, morphologiquement plus long que D. canis, réside préférentiellement dans les glandes sébacées. Bien qu’il provoque classiquement une dermatite séborrhéique dorsale (“état kératoséborrhéique gras”) chez les Terriers, il peut également induire un prurit podal et un érythème diffus, souvent confondus avec une allergie.
  • Dermatite à Pelodera strongyloides : Ce nématode saprophyte pénètre la peau en contact avec une litière humide et souillée (paille). Il provoque une pododermatite érythémateuse, alopécique et extrêmement prurigineuse, affectant les zones en contact avec le sol.
  • Ankylostomose : Les larves d’Ancylostoma peuvent pénétrer par voie percutanée au niveau des espaces interdigités, causant une dermatite papuleuse prurigineuse et une hyperkératose des coussinets.

3.3 Endocrinopathies et Maladies Métaboliques

L’hypothyroïdie et l’hyperadrénocorticisme (Syndrome de Cushing) ne causent pas directement de pododermatite inflammatoire per se, mais prédisposent fortement aux infections secondaires bactériennes et fongiques par altération de l’immunité cutanée et de la barrière épidermique. La calcinose cutanée dystrophique, complication du syndrome de Cushing iatrogène ou spontané, peut se manifester par des plaques dures, blanchâtres et calcifiées sur les coussinets ou dans les espaces interdigités, entourées d’une réaction inflammatoire à corps étranger.

La dermatite nécrolytique superficielle

Aussi appelé érythème nécrolytique migrant c’est une dermatose grave associée à une hépatopathie vacuolaire chronique sévère ou, plus rarement, à une tumeur pancréatique sécrétant du glucagon (glucagonome). La pathogénie implique une carence profonde en acides aminés essentiels circulants, entraînant une nécrose des kératinocytes de la couche granuleuse. Les lésions podales sont caractéristiques et douloureuses : hyperkératose sévère des coussinets avec des fissures profondes, érythème exsudatif et croûtes adhérentes. L’histopathologie révèle le signe pathognomonique “Rouge, Blanc et Bleu” (parakératose, œdème, hyperplasie basale). L’aspect échographique du foie en “nid d’abeille” (honeycomb pattern) est hautement évocateur.

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Pododermatite due à une dermatite nécrolytique superficielle

3.4 Maladies Auto-immunes et Immuno-médiées

  • Pemphigus Foliacé : C’est la maladie auto-immune la plus fréquente chez le chien. Elle cible la desmogléine-1, entraînant une acantholyse superficielle. Cliniquement, elle se manifeste par des pustules (rarement intactes car fragiles), des collerettes épidermiques, des croûtes jaunâtres et une hyperkératose villositaire des coussinets, souvent douloureuse. L’atteinte des griffes est rare, contrairement à l’atteinte faciale et auriculaire. Les études récentes suggèrent que la présence de lésions vasculopathiques concomitantes assombrit le pronostic.
  • Onychodystrophie Lupoïde Symétrique (SLO) : Cette affection, touchant préférentiellement le Berger Allemand, le Gordon Setter et le Bearded Collie, est unique car elle touche exclusivement les griffes. Elle débute souvent par la perte aiguë et douloureuse d’une ou deux griffes (onychomadèse), suivie séquentiellement par l’atteinte de toutes les griffes sur plusieurs pattes. La repousse est anormale, donnant des griffes cassantes, déformées, courtes et friables (onychodystrophie). Elle est considérée comme une vasculopathie ou une interface dermatite ciblant spécifiquement la matrice unguéale.

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Atteinte podale lors de pemphigus foliacé

3.5 Leishmaniose Canine

Dans les zones endémiques (bassin méditerranéen) ou chez les chiens ayant voyagé, la leishmaniose à Leishmania infantum doit être systématiquement envisagée face à toute pododermatite. Le parasite induit une réponse immunitaire complexe. Outre la dermatite exfoliative (pellicules géantes), elle provoque une onychogryphose spectaculaire (griffes anormalement longues et courbées comme des cornes de bélier). Ce symptôme n’est pas une simple hypertrophie, mais résulte d’une inflammation chronique de la matrice unguéale médiée par le dépôt de complexes immuns circulants. Des ulcères des coussinets, une hyperkératose naso-digitale et une vascularite nécrosante du bout des oreilles sont également fréquents.

IV. Facteurs Prédisposants et Perpétuants : Le Cercle Vicieux

La reconnaissance de ces facteurs est aussi cruciale que l’identification de la cause primaire. Ignorer les facteurs perpétuants condamne toute thérapie médicale à l’échec à long terme.

4.1 Facteurs Conformationnels et Biomécaniques

Les races lourdes à poils courts (Bulldog Anglais, Bulldog Français, Labrador, Boxer, Bull Terrier) sont génétiquement prédisposées. L’obésité aggrave considérablement le problème en augmentant la pression sur les coussinets et en provoquant un écrasement des espaces interdigités (splayed toes). Cet écrasement augmente la surface de friction peau contre peau lors de la marche. De plus, les pattes dites “élargies” ou présentant des palmures profondes favorisent la rétention d’humidité et la macération.

4.2 La “Folliculite Traumatique” et les Kystes Interdigités

Les kystes interdigités et la furonculose sont souvent entretenus par un facteur mécanique simple mais dévastateur : la nature du poil. Chez les races à poils courts et rigides, les poils brisés agissent comme des aiguilles. Lors de la marche, la friction constante pousse ces tiges pilaires brisées à l’envers, dans le derme ou à travers la paroi folliculaire (poils incarnés). Cela crée un cercle vicieux : inflammation -> œdème -> friction accrue -> rupture folliculaire -> réaction à corps étranger -> fibrose. La fibrose cicatricielle finit par emprisonner des débris folliculaires, formant des nidus d’infection chronique inaccessibles aux antibiotiques et aux défenses immunitaires.

V. Prise en Charge Thérapeutique Avancée : Protocoles 2025

La gestion de la pododermatite canine est par essence multimodale. Elle doit simultanément :

  1. Traiter l’infection (bactérienne et fongique).
  2. Contrôler l’inflammation et le prurit pour stopper l’auto-traumatisme.
  3. Identifier et gérer la cause primaire.
  4. Corriger les facteurs perpétuants (chirurgie, gestion du poids).

5.1 Gestion des Infections Bactériennes : Nouvelles Directives ISCAID 2025

Les nouvelles directives de l’ISCAID, publiées en 2025, marquent un tournant dans l’approche des pyodermites, insistant sur la réduction drastique de l’usage systémique des antibiotiques pour combattre l’antibiorésistance croissante.

Pyodermite de Surface et Superficielle

Pour les infections limitées à la surface (intertrigo) ou aux follicules superficiels, le traitement topique est désormais la règle absolue en première intention. L’usage de shampooings, de mousses ou de lingettes à base de chlorhexidine (concentration 2% à 4%) est recommandé quotidiennement ou tous les deux jours. La mupirocine pommade est une option excellente pour les lésions focales localisées, notamment contre les staphylocoques multirésistants.

Pyodermite Profonde et Furonculose

L’antibiothérapie systémique reste souvent nécessaire pour les formes profondes (furonculose, cellulite), mais elle doit impérativement être guidée par une culture bactérienne et un antibiogramme. L’antibiothérapie empirique est fortement déconseillée dans ce contexte.

  • Durée du traitement : Elle est prolongée. Les recommandations actuelles préconisent un traitement d’au moins 4 à 6 semaines, et surtout, la poursuite du traitement pendant 2 à 3 semaines après la résolution clinique complète des lésions (disparition des nodules palpables). Un arrêt prématuré est la cause principale de récidive.
  • Choix des molécules (Hiérarchisation ISCAID) :
  • Niveau 1 (Première intention si antibiogramme favorable) : Céphalexine, Amoxicilline-Acide Clavulanique, Clindamycine, Triméthoprime-Sulfamides (TMS).
  • Niveau 2 (Molécules de réserve) : Fluoroquinolones (Enrofloxacine, Marbofloxacine, Pradofloxacine), Doxycycline, Minocycline. À utiliser uniquement sur preuve de résistance aux molécules de niveau 1.

Données Récentes sur la Résistance (2024-2025)

Des études épidémiologiques récentes menées en Europe et en Chine ont mis en évidence des tendances inquiétantes. Une résistance élevée d’Escherichia coli (souvent impliqué dans les pododermatites profondes chroniques) à l’amoxicilline a été observée (jusqu’à 62% de résistance). En revanche, la sensibilité au Triméthoprime-Sulfamide (TMS) reste relativement stable, ce qui en fait une option empirique (en attente de culture) plus rationnelle que les pénicillines pour les suspicions de Gram négatifs. La résistance à l’amoxicilline-acide clavulanique montre une tendance à la baisse dans certaines régions, suggérant une efficacité préservée si utilisée judicieusement.

Type d’Infection

Approche Thérapeutique Recommandée (Consensus ISCAID 2025)

Durée Moyenne du Traitement

Molécules Privilégiées

De surface / Intertrigo

Topique seul (Chlorhexidine 4%, Mupirocine)

2-3 semaines

Antiseptiques locaux

Superficielle

Topique prioritaire +/- Systémique court

3 semaines (1 sem. après guérison)

Céphalexine, Clindamycine

Profonde (Furonculose)

Systémique (selon antibiogramme) + Topique adjuvant

4-8 semaines + (2-3 sem. après guérison)

Selon culture (souvent Fluoroquinolones, TMS)

SARM / SPRM

Topique agressif + Systémique ciblé (si possible)

Variable

Chloramphénicol, Doxycycline

 

5.2 Gestion des Infections Fongiques (Malassezia)

La dermatite à Malassezia complique fréquemment les allergies, provoquant un prurit intense, une odeur rance et un exsudat brunâtre.

  • Traitement topique : Souvent suffisant. Shampooings contenant 2% de miconazole et 2% de chlorhexidine.
  • Traitement systémique : En cas d’échec du topique, d’atteinte sévère ou de conformation rendant les soins locaux difficiles.
  • Itraconazole : 5 mg/kg/j ou protocole pulsé (2 jours consécutifs par semaine).
  • Kétoconazole : 5-10 mg/kg/j (attention à l’hépatotoxicité).
  • Terbinafine : 30 mg/kg/j.

5.3 Stratégies de Gestion de l’Inflammation et du Prurit

Le contrôle rapide du prurit est essentiel pour casser le cycle “prurit-grattage-inflammation”.

  • Glucocorticoïdes (Prednisolone/Méthylprednisolone) : Restent l’outil le plus rapide et le plus efficace pour réduire l’œdème sévère et la fibrose inflammatoire des kystes interdigités en phase aiguë. Dose anti-inflammatoire (0.5-1 mg/kg/j) en cure courte.
  • Oclacitinib (Inhibiteur JAK) : Très efficace pour le contrôle du prurit allergique avec un délai d’action rapide (similaire aux stéroïdes). Des études comparatives (Little et al., 2015) ont montré que l’oclacitinib agit plus vite que la ciclosporine et avec moins d’effets secondaires gastro-intestinaux. Il est idéal pour le diagnostic thérapeutique de l’atopie.
  • Lokivetmab (Anticorps monoclonal anti-IL31) : Cible spécifiquement l’interleukine-31, médiateur clé du prurit atopique. C’est une option sûre, sans effets secondaires métaboliques ou immunosuppresseurs, utilisable chez les jeunes chiens ou ceux avec comorbidités.
  • Ciclosporine : Efficace pour les cas chroniques d’atopie et certaines maladies auto-immunes, mais son délai d’action est lent (4 à 6 semaines pour un effet maximal), ce qui limite son utilité en phase aiguë.

5.4 Thérapies Innovantes : La Biomodulation par Fluorescence (Phovia)

La Biomodulation par Fluorescence (FLE – Fluorescent Light Energy) représente une avancée technologique majeure et non invasive pour la gestion des pyodermites profondes et des furonculoses interdigitées.

  • Mécanisme : Le système Phovia repose sur l’application d’un gel contenant des chromophores spécifiques, illuminé par une lampe LED bleue. Les chromophores absorbent les photons bleus et réémettent de l’énergie lumineuse par fluorescence à différentes longueurs d’onde (vert, jaune, rouge) dans le spectre visible. Cette énergie pénètre à différentes profondeurs du derme, stimulant les mitochondries cellulaires, favorisant la production d’ATP, réduisant l’inflammation et stimulant la régénération tissulaire, tout en ayant un effet bactéricide direct.
  • Efficacité Clinique : Des études cliniques prospectives randomisées (Marchegiani et al., 2021, 2022) ont démontré que l’ajout de la FLE au traitement antibiotique standard accélère significativement la guérison clinique (réduction du temps de traitement nécessaire à la résolution) et améliore la qualité de la cicatrisation des lésions profondes. Un protocole d’une application hebdomadaire s’est révélé statistiquement aussi efficace que deux applications par semaine, ce qui facilite grandement l’observance par les propriétaires.

5.5 Options Chirurgicales : Le Dernier Recours

En cas de pododermatite fibrosante chronique réfractaire à toute gestion médicale optimale (et seulement après contrôle strict des causes primaires), la chirurgie peut être envisagée comme solution de sauvetage (“salvage procedure”).

  • Chirurgie au Laser CO2 : Permet l’exérèse précise des kystes, des follicules malades et des tissus fibrosés avec une excellente hémostase et une stérilisation du site opératoire. C’est la technique de choix pour les lésions nodulaires focales.
  • Podoplastie de Fusion (Fusion Podoplasty) : Cette intervention lourde consiste à exciser la totalité des tissus interdigités malades et à suturer les doigts ensemble (fusion des coussinets). Bien qu’efficace pour éliminer la douleur chronique et les infections récurrentes, elle présente un taux élevé de complications post-opératoires : déhiscence de plaie (très fréquente), nécrose, et convalescence longue et douloureuse. De plus, des études de suivi (Papazoglou et al., 2011) montrent que certains chiens conservent une boiterie mécanique résiduelle ou une gêne à la marche à long terme. Cette chirurgie ne doit être proposée que dans les cas ultimes (“end-stage pododermatitis”).

VI. Traitements Spécifiques selon l’Étiologie

L’adaptation du protocole à l’étiologie précise est la clé du succès.

6.1 Onychodystrophie Lupoïde Symétrique (SLO)

Le traitement de la SLO est essentiellement médical et doit souvent être maintenu à vie.

  • Protocole de base (Immunomodulation douce) : L’association de Tétracycline (ou Doxycycline) et de Niacinamide (Vitamine B3) est le traitement de choix historique. Les dosages recommandés sont de 250 mg de chaque (pour chiens <20kg) à 500 mg de chaque (chiens > 20kg), trois fois par jour. Ce protocole est souvent associé à une supplémentation massive en Acides Gras Essentiels (Oméga-3), notamment l’EPA (Acide Eicosapentaénoïque), à des doses élevées (400 mg/10kg).
  • Cas réfractaires : Si la réponse est insuffisante après 2-3 mois, des immunosuppresseurs plus puissants comme la Prednisolone, l’Azathioprine ou la Pentoxifylline (pour améliorer la microcirculation) peuvent être ajoutés.
  • Chirurgie : L’ablation des griffes (onychectomie) est très rarement nécessaire, sauf en cas de douleur incoercible sur une griffe spécifique. L’onychomadèse spontanée fait partie de l’évolution naturelle de la maladie.

6.2 Syndrome Hépatocutané (SND)

Le pronostic est sombre, avec une survie médiane souvent courte. La prise en charge est palliative et essentiellement nutritionnelle, visant à corriger l’hypoaminoacidémie.

  • Perfusion d’acides aminés : L’administration intraveineuse de solutions d’acides aminés cristallins (type Aminosyn 10%) est la pierre angulaire du traitement. Le protocole implique des perfusions lentes (sur 8-10h) répétées toutes les 2 à 3 semaines pour combler le déficit catabolique et réduire les lésions cutanées.
  • Gestion nutritionnelle orale : Un régime riche en protéines de haute qualité est impératif. L’ajout de jaunes d’œufs crus (3 à 6 par jour selon la taille du chien) est une méthode simple et efficace pour apporter des acides aminés. Une supplémentation en Zinc (Zinc Méthionine) et en acides gras essentiels est également recommandée.
  • Thérapies avancées : Dans les rares cas de glucagonome identifié, l’exérèse chirurgicale ou l’utilisation d’analogues de la somatostatine (Octréotide) pour inhiber la sécrétion de glucagon a montré des résultats prometteurs mais reste coûteuse.

6.3 Leishmaniose Canine

Le traitement repose sur l’association synergique d’un leishmaniocide et d’un leishmaniostatique.

  • Protocole Standard : Antimoniate de méglumine (Glucantime) en injection SC pendant 4 semaines + Allopurinol per os au long cours (6 à 12 mois minimum).
  • Alternative : Miltéfosine per os + Allopurinol (utile en cas d’insuffisance rénale limitant l’usage des antimoniés).
  • Gestion des Immuns complexes: L’allopurinol aide à réduire la charge parasitaire et donc la formation des immuns complexes responsables de l’onychogryphose et de la glomérulonéphrite. La surveillance de la fonction rénale est prioritaire sur la gestion des signes cutanés.

Conclusion

La prise en charge des pododermatites canines exige du vétérinaire clinicien une remise en question des pratiques traditionnelles. Il ne s’agit jamais d’une simple “infection de la patte” à traiter par une injection d’antibiotique, mais d’un signal d’alarme complexe reflétant une dysfonction locale ou systémique. La clé du succès thérapeutique réside dans l’abandon de l’antibiothérapie réflexe au profit d’une démarche investigatrice complète (cytologie, raclages, biopsie) et d’une thérapie multimodale.

L’intégration des nouvelles directives de l’ISCAID, privilégiant la thérapie topique, et l’adoption de technologies adjuvantes comme la biomodulation par fluorescence, permettent aujourd’hui de gérer des cas autrefois considérés comme désespérés. Face à l’émergence mondiale des résistances bactériennes, le dermatologue vétérinaire se doit d’être le garant d’une médecine responsable, précise et factuelle, où chaque prescription est justifiée par une preuve diagnostique.

Références

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