La dermatite atopique canine (DAC) est une affection cutanée inflammatoire, prurigineuse et héréditaire, principalement médiée par les lymphocytes T. Sa prise en charge implique une approche multimodale compte tenu de sa nature multifactorielle et de son caractère incurable. Une meilleure compréhension des interactions entre les facteurs génétiques, environnementaux, et nutritionnels s’avère cruciale pour optimiser les traitements.
L’objectif de cette revue était de synthétiser les données disponibles sur le rôle de l’alimentation, de la nutrition et des suppléments dans la gestion de la DAC au cours des dix dernières années (2014-2024), en soulignant les limites méthodologiques des études existantes.
Le Rôle de l’Alimentation dans la Dermatite Atopique Canine
La DAC est caractérisée par une sensibilité accrue aux allergènes alimentaires et environnementaux. Chez les chiens allergiques à un ingrédient alimentaire, l’éviction de cet ingrédient est primordiale. Toutefois, même en l’absence d’allergie spécifique, des régimes alimentaires spécialisés peuvent procurer des bénéfices. L’intestin et la peau partagent des similitudes fonctionnelles et immunologiques importantes. Une dysbiose intestinale pourrait être à l’origine d’une inflammation intestinale qui aggrave la DAC, ou inversement, la réaction immunitaire anormale de la DAC pourrait induire une dysbiose intestinale. Dans les deux cas, des régimes spécifiques réduisant l’inflammation intestinale, contrôlant les symptômes gastro-intestinaux chroniques, améliorant la dysbiose intestinale et évitant les allergènes alimentaires ont démontré une amélioration des symptômes cutanés.
Une inflammation gastro-intestinale, fréquemment associée à la DAC, se manifeste par des symptômes tels que la diarrhée, les vomissements, les borborygmes et les flatulences. Les modifications alimentaires s’avèrent efficaces dans la prise en charge de ces symptômes. Chez les chiens allergiques, déclenchant des symptômes cutanés (réactions alimentaires cutanées indésirables), l’alimentation est d’une importance capitale. Environ un tiers des chiens atteints de DAC présentent une allergie alimentaire. Les régimes d’élimination, d’une durée minimale de 8 semaines, constituent la méthode de référence pour le diagnostic. Les allergènes alimentaires les plus fréquemment rapportés sont le bœuf, les produits laitiers, le poulet, le blé et l’agneau. L’éviction des allergènes est essentielle. Cependant, la contamination croisée dans les aliments commerciaux rend souvent nécessaire l’utilisation de régimes prescrits, voire, idéalement, de régimes faits maison, bien que plus complexes à équilibrer. Des régimes à base de protéines hydrolysées (soja, plumes de volaille) se sont montrés utiles pour diagnostiquer et gérer les allergies alimentaires. Des régimes d’acides aminés purifiés à faible teneur en glucides allergènes sont également disponibles et présentent un intérêt clinique.
Il est à noter que des améliorations ont été observées chez des chiens atopiques sans symptômes gastro-intestinaux ni allergie alimentaire spécifique, traités avec des régimes alimentaires spécialisés. Plusieurs études ont montré les bienfaits de régimes enrichis en ingrédients ciblant la santé cutanée.
Régimes Alimentaires Spécialisés
Des études ont évalué l’efficacité de régimes enrichis d’ingrédients réputés pour leurs propriétés bénéfiques sur la peau. Une étude en double aveugle, contrôlée contre placebo, a démontré une amélioration significative du score de prurit et une réduction des besoins médicamenteux chez des chiens non allergiques, nourris avec un régime contenant du curcuma, de la racine de réglisse, de la lutéine, et des niveaux élevés de vitamine E, d’acide eicosapentaénoïque (EPA) et d’acide docosahexaénoïque (DHA). Une autre étude a observé une incidence significativement plus faible de prurit et d’IgE anti-acariens chez des chiots issus de chiennes nourries avec un régime enrichi en ingrédients réputés pour soutenir la barrière cutanée. Dans une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, un régime supplémenté en acides gras polyinsaturés, polyphénols et antioxydants a entraîné une amélioration significative des scores de gravité et d’étendue de la DAC.
Le Rôle du Microbiome Intestinal dans la Dermatite Atopique Canine : Suppléments et Alimentation
Un microbiome intestinal sain contribue à la tolérance immunitaire. Les chiens atopiques présentent un microbiome différent des chiens sains. Bien qu’il existe des preuves suggérant des effets bénéfiques des probiotiques chez l’homme, les données concernant leur utilisation chez le chien atopique restent limitées. Si l’amélioration du microbiome intestinal est corrélée à une diminution de l’inflammation intestinale et une amélioration des symptômes cutanés, il reste à déterminer si cette amélioration est une cause ou une conséquence. L’amélioration de l’inflammation intestinale semble corrélée à l’amélioration des symptômes cutanés. Il semble probable que l’alimentation, plus que les probiotiques seuls, soit plus bénéfique pour maintenir un microbiome intestinal sain. Des études ont démontré des améliorations du microbiote intestinal et des signes cliniques de DAC après l’administration d’un régime hydrolysé de poisson et d’amidon de riz ou suite à l’association d’un régime hydrolysé et de bactéries Lactobacillus tyndalisées.
Régimes Alimentaires Crus
À l’heure actuelle, aucune donnée probante ne permet de conclure que les régimes crus offrent un avantage par rapport aux régimes cuits. Il est possible qu’ils favorisent un microbiome intestinal plus sain, bien que sans effet notable sur les marqueurs systémiques de l’inflammation. Une association a été notée entre l’alimentation crue et la prévention de la DAC chez les West Highland White Terriers, mais cette étude présentait des importantes limites méthodologiques (données issues de l’observation des propriétaires). L’alimentation modifie l’expression des gènes dans la peau. Chez les bull terriers, un régime cru a modifié l’expression des gènes impliqués dans l’angiogenèse, ainsi que le métabolisme lipidique et kératinocytaire; toutefois, l’impact clinique reste à préciser.
Le Rôle des Suppléments Nutritionnels dans la Dermatite Atopique Canine
Acides Gras Essentiels
Les acides gras oméga-3 et oméga-6 sont essentiels. L’EPA, un oméga-3 présent dans les huiles de poisson, interfère avec l’acide arachidonique et modifie la production d’eicosanoïdes, diminuant théoriquement les médiateurs inflammatoires et modifiant la barrière lipidique épidermique. Malgré de nombreuses études, les bienfaits cliniques supplémentaires de l’apport en acides gras essentiels pour le traitement de la DAC sont limités. Cependant, ces suppléments semblent avoir un effet épargnant sur certains médicaments (prédonisolone, cyclosporine, oclacitinib). Des études ont montré une réduction de la dose de ces médicaments associée à une supplémentation en acides gras oméga-3.
Vitamine E
La vitamine E joue un rôle dans le système immunitaire et possède des propriétés antioxydantes. Des études ont démontré une amélioration significative des scores de gravité de la DAC suite à une supplémentation en vitamine E.
Vitamine D
La vitamine D est importante pour un système immunitaire sain. Une étude contrôlée par placebo a démontré une diminution significative du prurit et des lésions cutanées chez des chiens recevant du cholécaciférol. Une surveillance attentive de la calcémie est nécessaire en raison du risque de toxicité.
Zinc
Une étude contrôlée en cross-over n’a pas mis en évidence d’amélioration significative du prurit, mais une diminution du score des lésions cutanées chez une proportion de chiens supplémentés en zinc. Le nombre d’animaux inclus et les facteurs confondants limitent l’interprétation de ces résultats.
Suppléments Non Nutritionnels
Cannabinoïdes
Les récepteurs cannabinoïdes sont surexprimés dans la peau des chiens atteints de DAC. Le palmitoyléthanolamide (PEA), une molécule endocannabinoïde, semble diminuer la libération d’histamine, de prostaglandine D2 et du facteur de nécrose tumorale par les mastocytes canins in vitro. Une étude a montré des améliorations du prurit, des lésions cutanées et de la qualité de vie suite à une supplémentation en PEA ultra-micronisé, mais des limites méthodologiques importantes (absence de groupe contrôle, données basées sur l’observation des propriétaires) réduisent la valeur de ces résultats. Des études sur le CBD et le CBDA montrent des résultats variables.
Conclusion
Les régimes alimentaires évitant les allergènes jouent un rôle majeur chez les chiens allergiques. Certaines données suggèrent un intérêt de certains suppléments et régimes enrichis en association avec d’autres traitements. Des recherches supplémentaires, avec des méthodologies rigoureuses, sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes d’action et confirmer l’efficacité de ces approches.
Eisenschenk MN. Diet, nutrition, and supplements in canine atopic dermatitis. Vet Clin Small Anim. 2024;54(6):1605-1620. https://doi.org/10.1016/j.cvsm.2024.11.003